Cet exemple et ceux que nous avons vus la semaine dernière montrent combien ce qui paraît évident à « l’adulte qui sait » peut laisser perplexes les apprenants en recherche de logique :
- Pourquoi doit-on écrire « le tabac » avec un « c » terminal, alors que les mots de la même famille, éventuellement connus de enfants, sont tabatière et tabagie ? À noter que ce terme est accessible aux élèves de fin de cinquième année primaire avec 84% de réussite. Ilprovient de l’espagnol tabacco, qui lui-même vient du haïtien tsibatl.
- Pourquoi l’adverbe « trop » prend-il un « p » terminal ? Y a-t-il un autre mot qui aiderait à trouver cette lettre muette ? Ce terme provient du francique thorp lui-même issu du germanique thurpan qui signifiait « village »… Les élèves ne savent l’écrire qu’en fin de troisième année (CE2).
- Quel terme les apprentis scripteurs peuvent-ils évoquer pour savoir qu’il convient de mettre un « s », à la fin du substantif « un débris » qui est cependant du singulier ? Si l’on avait gardé l’étymologie première, il aurait été moins malaisé de comprendre cette graphie, mais le verbe de l’ancien français debriser (du latin tardif brisare : fouler le raisin) n’appartient plus au français standard et c’est sans nul doute l’explication du faible score obtenu à l’écriture de ce terme en fin de cinquième année qui est de 49% de réussite. (Rappelons pour mémoire qu’un terme peut être considéré comme appartenant à la compétence des élèves quand il est réussi par au moins 75% des graphieurs du même âge).
- Pour ce qui concerne le terme « un nerf », l’étymologie (du latin nervus), tout comme les « mots de la même famille » (nerveux ? énervé ?), inciteraient à transcrire éventuellement un ‘v’ terminal. Cependant, comme pour « un cerf, un serf » (mais pas « fer » !), ce substantif demande un « f » que rien ne laisse présager, que rien ne peut aider à deviner ; (49% de réussite en fin de 5A). La phonologie du français nous apprend que les deux phonèmes [f] et [v] ne se distinguent que par la vibration ou la non vibrations des cordes vocales, ce qui les rend très proches à l’oral, mais pas à l’écrit !
- « Pointer du doigt » peut se montrer aussi menaçant que « montrer le poing » ? Les rapprochements sémantiques entre « pointer » et « poing » entraînent une erreur de graphie sur le substantif « un poing » que les enfants écrivent «un point ». « Cette erreur » également compréhensible parce que les apprenant.es ont déjà rencontré ce terme avec cette orthographe ! Les scores sont très significatifs puisque les enfants ne réussissent la graphie (de la première à la cinquième année) qu’à : 0%, 0%, 13%, 24%, 59%.
- Pour prendre d’autres exemples, il s’avère qu’un certain nombre de ces termes, dictés aux élèves dans le cadre de la recherche-action, qui a permis les résultats répertoriés dans ÉOLE, sont des exemples que les adultes croient écrire « comme ils se prononcent ». Ces élèves ont cependant obtenu des scores qui ne permettent pas de les considérer comme appartenant à la compétence des enfants de fin de primaire (5A) :
- « un divan » (30%, 16%, 30%, 38%, 39%) ;
- « le lin » (52%, 26%, 40%, 26%, 54%) ;
- « un logo » (32%, 56%, 50%, 56%, 51%) ;
- « un mari » (29%, 56%, 69%, 75%, 79%) ;
- « polir » (41%, 45%, 38%, 43%, 44%)…
- Comment imaginer que les enfants puissent décomposer « longtemps » en « un long temps » alors qu’ils l’utilisent et l’entendent utiliser par les adultes en un seul et même « mot oral » ? Les résultats obtenus par les enfants de l’école élémentaire sont très significatifs puisqu’ils atteignent (toujours de la première à la cinquième année) : 0%, 0%, 62%, 56% et 57%.
Ce dernier exemple est également interrogeant parce qu’il fait partie de ce que les textes qui régissent l’enseignement de la langue française appellent « les mots invariables ».
La pédagogie, l’apprentissage (donc l’enseignement) de l’orthographe lexicale ne vont pas « de soi ». La recherche a clairement démontré que le cerveau ne peut enregistrer n’importe quelle donnée à n’importe quel âge (voir tous les travaux concernant ce sujet, aussi bien en neurologie qu’en didactique de la langue). C’est pourquoi il est recommandé de se référer aux échelles d’orthographe lexicale résultant de recherches reconnues.